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En traversant la route départementale, nous regagnons les berges du ruisseau de Saint-Jean après avoir longé sur quelques dizaines de mètres un de ces affluents, le Profond Ru. C'est à cet endroit, sur cette rive que nous retrouvons, qu'est inauguré en octobre 1972 le centre culturel Antoine de Saint-Exupéry, détruit presque cinquante ans plus tard, au mois de mars 2021.
Le Centre Culturel s'installe à Delme dans le cadre de l'opération lancée par le ministère de la Jeunesse et des Sports : « 1000 clubs de jeunes ». La volonté de ce programme est entre autres d'offrir aux jeunes – nombreux dans les années 60-70, du fait de la poussée démographique de l'après-guerre -, de leurs offrir des lieux dans lesquels ils pourront se retrouver, peut-être inventer leurs manières d'être ensemble, se construire collectivement.
Les municipalités, aussi bien urbaines que rurales, peuvent ainsi candidater à l'attribution d'un local-club préfabriqué industriellement, qui leurs sera ensuite livré en kit. La livraison est accompagnée d'un manuel de montage ; le lieu étant à destination de la jeunesse, il est également supposé être édifié par elle.
En ce point, où se rencontrent préfabrication industrielle et montage bénévole par des non-professionnels, réside une originalité des Mille clubs. En effet, dans un même élan, l'acte de construire s'éloigne et se rapproche des habitants. Il s'éloigne du fait de la production en série d'équipements parachutés dans les territoires, mais se rapproche en sollicitant dans le montage de ces équipements les habitants eux-mêmes. Dans un article, l'architecte Hélène Verniers propose une phrase qui condense cette dynamique singulière des Mille clubs : "L'industrialisation a produit une cabane."1
Il faudrait ajouter que ce sont au final 2500 « cabanes » qui sont installées entre 1966 et 1978.

Ces dernières années, la figure de la cabane est remobilisée et trouve des relais multiples. Les cabanes sortent des bois. Sans s'extirper absolument d'un lien à l'enfance, elles acquièrent une pertinence dans le contexte de la crise écologique et une charge contestataire face aux grands projets d'aménagement et d'artificialisation des sols. Dans ce retour des cabanes, celles de la ZAD, ou zone à défendre, de Notre-Dame-des-Landes tiennent une position manifeste. Elles sont un étendard de la lutte pour la préservation d'un bocage contre le projet d'aéroport du Grand Ouest ; projet finalement abandonné par l’État en janvier 2018.
Quelques mois plus tard, alors que menace l'expulsion des occupants de la ZAD et la destruction des lieux de vie qui s'y sont bâtis, une tribune réunit des architectes, des paysagistes, des anthropologues, des philosophes... en soutien, en défense, de ce qui s'est construit et inventé dans ce bocage. La tribune évoque entre autres la « force poétique » des cabanes et les imaginaires qu'elles ouvrent, mais aussi la manières dont ces cabanes invitent tout un chacun à « se réapproprier l'acte de construire ».
Les signataires déclarent : "[...] faites de matériaux locaux ou de réemploi, en terre, en bois, en paille ou en récup, ces constructions répondent à leur échelle aux enjeux écologiques et énergétiques, à rebours du monde que l’industrie du béton et de l’acier est en train de construire partout sur la planète. […] Ce qui s’y joue, c’est l’invention d’un vernaculaire contemporain fait d’enjeux mondiaux et de matériaux locaux."2
Face à ces relations étroites qu'entretiennent les cabanes entre enjeux et matériaux, entre mondial et local, les Mille clubs opèrent une redistribution inversée. Les enjeux de chaque club portent localement, à l'échelle d'un quartier, d'un village ; les matériaux utilisés quant à eux, notamment l'aluminium ou le plastique, peuvent provenir de l'autre bout du monde.

Rapprocher ainsi la « cabane industrialisée » qu'est le Mille club et la cabane qui prend position dans les zones à défendre est ici moins une manière d'opposer deux constructions, qui sont aussi deux époques, que de révéler l'une en la plaçant sous le regard de l'autre.
Aux constructions en série des « Trente Glorieuses » auxquelles appartiennent les Mille Clubs, succèdent aujourd'hui, à des échelles souvent modestes, des pratiques ambitieuses de constructions situées, attentives aux lieux qu'elles investissent, aux matières qu'elles nécessitent, aux gestes qu'elles impliquent, aux vies qu'elles invitent et même inventent.

Cette réappropriation et cet approfondissement de l'acte de construire, dont il est finalement question, c'est ce que les Mille clubs approchent et effleurent. Même s'il s'agit davantage d'assembler notice en main, que de faire naître des formes depuis la créativité de chacun, de rencontrer empiriquement des matières et des manières de faire, il est tout de même question de faire, et faire ensemble.
Nous pouvons alors nous hasarder à une lecture à contre-sens de l'opération Mille Clubs : des Mille Clubs, moins comme espace d'accueil de la jeunesse que comme prétexte à la mise en place d'un chantier collectif, tissant des relations, stimulant l'auto-organisation ; faisant groupe. C'est-à-dire : un chantier, non pas comme moyen mais comme objectif. C'est-à-dire : construire pour le geste déployé plus que pour son résultat. Construire pour tout ce que cela convoque, plus que pour ce que cela produit. Construire pour se construire en commun. Ce qui couve peut-être obscurément sous les Mille clubs des années 60-70, et qui aujourd'hui s'énonce par endroits avec davantage de clarté, c'est que certaines manières de construire sont déjà pleinement des manières d'habiter.


  1. Hélène Verniers, « Les Mille clubs ou la cabane industrialisée », Les années ZUP : architectures de la croissance (1960-1973), Picard, 2002. 

  2. Tribune collective, Comme à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, défendons d'autres manières d’habiter, Mediapart.fr, 2018.