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L’avenue de Blida mesure un peu plus d’un kilomètre. Nous nous trouvons actuellement en son milieu, au niveau du Centre de Valorisation des déchets Haganis. Le centre traite ici les déchets que produisent les quarante-cinq communes de la métropole messine. Il sépare les matériaux qui peuvent être recyclés de ceux qui, ne le pouvant pas, sont incinérés. L’incinération produit de la vapeur d’eau qui alimente ensuite le réseau de chauffage urbain. Les résidus de la combustion sont également traités pour être utilisés en remblais dans les travaux publics.
Sur le site internet de Haganis, le terme employé en abondance pour décrire chaque étape de ce processus est valorisation : « valorisation matière », « valorisation énergétique », « valorisation des déchets inertes », « valorisation du bois », « valorisation des mâchefers », « boues d’épuration valorisées », « sable valorisé » ...

En face du centre, de l’autre côté de l’avenue, s’étale un parking qui faisait partie de l’ancien dépôt des bus de la ville. Le marquage au sol qu’on peut encore légèrement distinguer et qui trame l’étendue de béton y est singulier. Il ne délimite pas des emplacements de bus, comme on peut s’en apercevoir, mais des emplacements de tentes. Entre 2013 et 2017, de manière intermittente, c’est en effet sur ce parking que la Préfecture de Moselle et la mairie de Metz décidaient d’installer pendant quelques mois les demandeurs et demandeuses d’asile qui arrivaient à Metz, fuyant leurs pays, majoritairement depuis les Balkans. Le camp regroupait chaque année plusieurs centaines de personnes avant d’être systématiquement démantelé, et les personnes finalement prises en charge, à l’approche de la trêve hivernale.

En ce point précis de l’avenue de Blida, un hasard étrange, cynique veut que des déchets qu’on valorise soient placés face à des vies malmenées. Ici, on a parlé de camp humanitaire ou de bidonville, on a parlé de cloaque, d’une future jungle de Calais, on a peu parlé de valorisation. Bien sûr. Et pour cause. Et pourtant.
Et pour cause, il y a peut-être une forme de décalage à chercher ce qui est valorisable sur un camp où les eaux usées chargées d’excréments s’écoulaient entre les tentes. Décalage qui s’accentue pour devenir un contraste, en songeant que juste en face, le centre gère également l’assainissement des eaux usées de la Métropole.
Et pour cause. Et pourtant. Et pourtant, sur le camp, on pouvait observer ici et là, à proximité des tentes, des objets variés récupérés dans les poubelles, un renard empaillé par exemple, extirpé des déchets de la ville, ressuscité, sauvé pour un temps de l’incinération qui l’attendait de l’autre côté de la rue. Des objets recyclés, valorisés autrement en somme, comme des moyens de s’approprier un tant soit peu les lieux, reprendre prise sur sa condition, ne pas seulement subir le camp mais tenter malgré tout d’y vivre, de l’habiter de petits gestes, d’intentions anecdotiques et essentielles à la fois.

« Reconnaître ce qui au milieu du désastre n’est pas de l’ordre du désastre. »

Reconnaître ce qui au milieu du désastre n’est pas de l’ordre du désastre, c’est ce à quoi travaille depuis 2012, le PEROU, le Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines.
En 2015, dans ce qui fut appelé la jungle de Calais, le PEROU entreprend un inventaire non pas de la misère qui s’y trouve, de la catastrophe qui s’y opère, mais au contraire de tout ce qui s’y organise d’enthousiasmant.
Le PEROU prend le partie de la joie. Il décale le regard pour ne pas réduire le camp à la boue d’un bidonville insalubre mais voir aussi ce qui s’y vit ; et ce qui s’y vit de beau. Face aux énoncés dégradants qui dominent, il lutte en ne négligeant pas la vie, en repérant aussi ce qui s’épanouit : les langues qui s’y parlent et même s’y inventent, les plats qui s’y cuisinent et qui probablement s’y mêlent, les danses qui s’y déploient et les chants qui y résonnent, les rires qui y éclatent. Les bibliothèques, les épiceries, les infirmeries, les églises, les théâtres... les lieux de vie donc, qui s’y construisent. Les réseaux de solidarité et d’hospitalité qui y naissent et s’y tissent.
Toutes ces choses qui ont été relevées à Calais, et qui se sont peut-être manifestées dans une moindre mesure sur le camp de Blida, toutes ces choses, précieuses en dépit de tout le reste, qui ne sont pas à détruire mais à considérer et à accompagner. À valoriser, non pas au sens d’un centre de déchets, par une transformation qui produirait de la valeur, mais par un ajustement de notre propre regard, pour nous permettre de voir aussi qu’une valeur est déjà là.