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Après avoir traversé la place Mazelle et le passage de Plantières, nous arrivons au Parc de la Seille, rebaptisé Jardins Jean-Marie Pelt. Inauguré en 2002, avec notamment pour rôle de collecter les eaux de ruissellement du futur quartier de l’Amphithéâtre, il a permis d’adoucir les berges de la rivière qui était alors canalisée à cet endroit.
Le parc ne nécessite quasiment pas d’arrosage. L’artificialisation des sols y est limitée. La gestion des espaces est différenciée, un éco-paturage est pratiqué, aucun intrant n’est utilisé, le désherbage est réduit, la fauche est tardive, les tailles sont raisonnées... Une aire de jeux est installée pour les enfants, des pelouses sont entretenues pour accueillir des activités diverses, des voies sont tracées pour les promeneurs, d’autres pour les rollers, pour les vélos. Tout a été pensé, tout est là et sans doute que tout est bien fait : praticable, accueillant, confortable.

Et pourtant, sans rien enlever aux qualités du parc, on pourrait s’essayer à réhabiliter la friche qui l’a précédé. Face au parc planifié, structuré et aménagé, la friche offre une page blanche, un champ des possibles absolument ouvert. Une respiration.
C’est un endroit où la ville se déprend, où elle renonce, au moins temporairement, au contrôle que partout elle se doit de maintenir, pour simplement laisser aller les choses, donner de l’espace et du temps pour que s’épanouissent une faune et une flore variées, et des manières d’habiter qui ne soient ni dirigées ni même suggérées. Laisser libre cours aux dynamiques naturelles, aux imaginaires, à tous les mouvements d’un monde que les villes refrènent généralement. Car un parc fait système mais il ne fait pas monde précisément. Il lui manque de l’impensé, du lâcher prise, du débordant. Du réel brut auquel se confronter sans filtre, sans que toutes ses aspérités n’aient préalablement été lissées.

Les friches, et plus largement toutes les zones qui échappent à l’aménagement urbain au cœur même des villes, le collectif d’artistes et d’architectes Stalker les appelle les Territoires Actuels. Comme le dit le collectif, ces espaces « forment le négatif de la ville bâtie ». Pour eux, ces territoires l’enrichissent et la vivifient, ils constituent en son sein un abri pour tout ce qui est nomade, non-planifié, sauvage. Ce sont des espaces sans assignation à un usage spécifique ; en ce sens, ils ne se consomment pas mais s’éprouvent, s’expérimentent, on s’y aventure davantage qu’on s’y promène ; on y invente.
Parce qu’ils maintiennent une forme d’altérité ; parce qu’au regard des grands plans d’aménagement, ils incarnent la possibilité d’une alternative, qu’ils couvent un monde autre, les Territoires Actuels sont à préserver. Et les préserver implique précisément de les abandonner. A ce propos, Stalker écrit : « L’abandon est la plus grande forme de soins possible de ce qui est né et s’est développé au-delà de la volonté et du projet de l’homme. »

La sollicitude portée à l’abandon et l’attention à ce qu’elle peut produire est par ailleurs au cœur de la notion développée par le paysagiste Gilles Clément de Tiers paysage. Le Tiers paysage désigne les espaces pour lesquels l’homme abandonne, ou redonne, la gestion à la seule nature. Ce sont les bordures de route, les talus, les friches, mais aussi la cime des montagnes. Ces espaces accueillent une biodiversité incomparablement plus riche que celle présente dans les espaces entretenus, ce qui fait dire à Gilles Clément qu’ils sont le réservoir génétique de la planète, que les ménager revient à ménager le futur.

Ménager le futur et ne pas l’aménager, une partie des jardins Jean-Marie Pelt s’y emploie : lors de la construction du parc, la Seille est divisée en deux bras qui se rejoignent trois cent mètres plus loin, donnant ainsi naissance à un îlot qui n’est pas accessible aux promeneurs, un îlot, donc, rendu au monde et à ses dynamiques propres.