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De l’autre côté des voies ferrées qui longent les Jardins Jean-Marie Pelt, un autre îlot s’est formé à partir d’octobre 2014 : Muse est un îlot urbain installé sur une ancienne friche ferroviaire, il comprend une vaste galerie marchande à laquelle se raccordent des logements et des bureaux.
Muse est un édifice qui s’est construit et se raconte en chiffres et en superlatifs. On évoque l’investissement privé de 324 millions d’euros, les 37000 mètres carrés du centre commercial, les 115 boutiques, les 7 grues qui dominaient le chantier lors de la construction. On dit « projet titanesque », « très forte complexité technique », on dit « une des plus importante opération immobilière jamais réalisée en France ». On dit encore « ensemble commercial du troisième millénaire », « espace de commerce et loisirs dernière génération ».

Face à Muse, il y a le Centre Pompidou-Metz. Entre Muse et le musée, s’est installée en 2020, discrètement, une structure plus modeste baptisée le Paper Tube Studio. C’est ce pavillon allongé à droite de l’entrée du Centre Pompidou sur lequel s’alignent des fenêtres circulaires, et dont une voûte constitue à la fois les murs et le toit. Cette structure a été construite par Shigeru Ban, un des deux architectes du Centre Pompidou-Metz, et c’est à l’intérieur de celle-ci qu’il a travaillé, avec Jean de Gastines, à la conception du musée.
Le Paper Tube Studio accueillait fin 2021, le PEROU, le Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines, évoqué dans le premier chapitre du parcours.
Le PEROU, dans le prolongement d’une collaboration avec le Centre Pompidou-Metz, était invité à installer ici une étape d’un vaste chantier amorcé en 2020. À savoir la création d’un navire, à mettre à disposition des organisations qui sauvent des vies en mer Méditerranée. Ce navire, baptisé Avenir (qui est un anagramme de navire) s’envisage comme une œuvre commune, mobilisant des institutions culturelles multiples, des chercheurs et des étudiants des écoles européennes d’art, de design, d’architecture...
Pour le PEROU, l’Avenir constitue une partie d’un travail plus vaste qui vise à faire inscrire par l’UNESCO l’acte d’hospitalité au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ainsi, le navire se conçoit et se construit à partir des gestes de sauvetage et de soin qui se pratiquent en haute mer, il est sculpté par eux et en constituera par la même un conservatoire. Un outil de préservation et d’amplification de ces gestes.
Le PEROU décrit l’Avenir comme « un navire-étendard, placé sous l’égide de l’UNESCO et sous pavillon européen, dressé sur les flots tel un haut-lieu de l’humanité, offrant les conditions les meilleures au déploiement, à bord, des gestes de soin, de bienveillance, d’amitié. » Il ajoute « La mer Méditerranée, ses rivages et les paysages qui les prolongent jusqu’à nos seuils, feraient définitivement horreur si disparaissaient ces gestes qui, sur mer comme sur terre, font d’un étranger un hôte. »

Ainsi, au pied de Muse, « vaisseau amiral du nouveau quartier de l’Amphithéâtre » comme il a pu être dit, centre commercial du troisième millénaire, a doucement pris forme un autre vaisseau porteur d’un autre futur. Deux futurs, portés par deux constructions qui ne s’opposent pas nécessairement, mais qui dessinent deux manières d’appréhender et de se projeter dans le monde.

Ce douzième chapitre est le dernier du parcours. Alors, comme pour boucler les choses, on pourrait rapprocher de Muse le Centre de valorisation des déchets qui faisait l’objet du premier chapitre. L’un ainsi placé face à l’autre, c’est tout le chemin des marchandises qui se contracte entre ces deux points : de leur mise en rayon à leur mise au rebut.
Rebuts qui, peut-être, seront partiellement recyclés, se retrouveront dans une nouvelle chaîne de production redevenant marchandise, rejetée, recyclée, reproduite, rejetée... Soit le cycle vertigineux, monstrueux, du monde tel qu’il s’organise, tel qu’il se consomme et se consume ; tel qu’on s’y laisse aller et tel qu’on en profite aussi.

Mais une autre boucle pourrait être, elle aussi, à refermer. Celle qui rapprocherait le bidonville de Blida et la jungle de Calais, également évoqués dans le premier chapitre, du navire Avenir. Car c’est dans ces camps, de Calais ou d’ailleurs, depuis l’observation de ce qui s’y inventait aussi, des gestes d’humanité qui y avaient cours aussi, que le projet de L’Avenir trouve ses fondations.
Ainsi, il ne s’agit plus seulement de reconnaître ce qui au milieu du désastre n’est pas de l’ordre du désastre, mais de prendre à bras le corps ce qui résiste au désastre, et de lui faire gagner du terrain, d’aider tout ce que la vie invente, préserve, répare.
Ce dont le PEROU a fait l’inventaire et ce qu’il entreprend, avec bien d’autres, ce sont des actions qui ne se contentent pas du monde tel qu’il nous est proposé, avec tout ce qu’il peut avoir de mortifère, mais qui tente de faire advenir un monde tout à la fois habitable et apaisé, hospitalier et désirable pour toutes et tous. Et cette tentative, déjà, redonne du sens au monde tel qu’il est. Elle sauve le présent, en considérant le futur. En préparant l’Avenir. Avec intensité. Avec joie.