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Ici, en bordure de Moselle, la stèle évoquée précédemment trouve son double. L’inscription présente avenue de Blida y est reprise, elle dit : « Ce terrain situé entre la route et la rivière est une partie du vieux cimetière juif du 17e siècle. Des tombes ont été transférées en 1903 sous l’injonction de l’armée allemande dans le cimetière actuel. Cependant, un certain nombre de tombes sont restées sur place. »

« Ce terrain situé entre la route et la rivière... »
Entre la route et la rivière, on le voit, il y a aujourd’hui un parking. Sous le parking, il se trouvait, il se trouve sans doute encore, des corps inhumés.
Une violence symbolique sourde perce dans cette situation qui voit des sépultures recouvertes sous le bitume. On voudrait s’en extraire, essayer de lui donner sens. Chercher ce qui, dans la violence de cette superposition, n’est pas de l’ordre de la violence.
Doucement s’esquisse l’intuition d’une analogie, incertaine, maladroite, qui ne sauve pas la situation mais la décale ; analogie qui serait à chercher entre parking et cimetière, entre voiture et cercueil.
Sans être élucidée, cette intuition trouve un écho lointain dans la bande-dessinée de Manu Larcenet, Le Combat Ordinaire. Dans un passage où le personnage principal se confie à son psy sur son angoisse de conduire sur autoroute, ce dernier lui répond : « Qu’à bien y réfléchir, une voiture a de nombreux points communs avec un cercueil. … Que foncer à des vitesses pas naturelles sur des routes où on ne sait rien des gens qui pilotent les autres cercueils donne à réfléchir. »

« Foncer à des vitesses pas naturelles sur des routes où on ne sait rien » pourrait aussi être une image de l’époque actuelle. Des vitesses pas naturelles qui augmentent, qui nous doublent, nous dépossèdent, nous projettent contre un mur de vide.
Les codes QR, qui conduisent aux enregistrements que vous êtes en train d’écouter en sont un marqueur et témoignent de cette vitesse jusque dans leur nom. QR Code comme quick response code, code à réponse rapide.
Si quick response vient dire la vitesse, qui devient accélération qui devient instantanéité, le mot code rappelle tout ce qu’il y a là de plus en plus complexe, de codé précisément, de difficilement déchiffrable. Une complexité dont nous bénéficions sans la comprendre, dont nous profitons tout en la subissant, et qui vient se loger dans de plus en plus de nos interactions.
Jusque dans notre travail de mémoire. Jusque dans les cimetières justement, où des sociétés proposent d’intégrer sur les pierres tombales un code QR renvoyant à des informations sur la personne disparue. L’instantanéité donc, un temps qui tend à s’abolir, qui cherche à se rentabiliser jusque dans le recueillement.
Paul Virilio, urbaniste et philosophe, penseur de la vitesse, avait cette formule : « gagner du temps, c’est perdre le monde ».