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Nous sommes maintenant rue des Murs. Ici, l’association Oppidum a entrepris de transformer la rue en ce qu’elle appelle une rue comestible. Au fil des années, Oppidum a mis en place un site de compostage et un jardin partagé, elle a récemment planté de la vigne et des arbustes fruitiers. Un peu plus loin, rue des Murs toujours, une serre a été installée dans le foyer des jeunes ouvriers. En contrebas, dans le parc du Conservatoire, l’association entretient un espace favorisant la biodiversité.
L’ensemble se construit progressivement sous la forme d’actions collectives et de chantiers participatifs. Si bien qu’au-delà du projet d’aménagement d’une rue, s’installe doucement une manière de l’habiter. Une manière de se réapproprier la ville en somme, de ne pas la subir mais, en y inventant des usages, en commun, d’y déployer plus pleinement nos vies.

  • En délogeant quelques dalles de la place de la République, à Paris, le mouvement Nuit Debout y installe un potager le 9 avril 2016. Il sera détruit deux jours plus tard par les forces de l’ordre.
  • Le 31 mai 2019, au cœur du mouvement des Gilets Jaunes, c’est sur un rond-point du Plateau d’Hauteville, dans l’Ain, qu’un potager est planté. Il est arraché le lendemain sur ordre du maire qui, portant plainte, parlera de détérioration et d’incivilité. L’unique accusé quant à lui évoquera une « réappropriation et un partage de l’espace public » pendant que ses soutiens demanderont à être poursuivi pour « complicité de jardinage ».
  • Le 30 juin 2020, des membres d’Extinction Rebellion installe un potager sur le futur chantier de Tropicalia, gigantesque serre proposant « une expérience immersive à la découverte des merveilles du monde tropical », dans le Nord-Pas-de-Calais. Extinction Rebellion, suggère que ces terres, plutôt qu’elles ne soient artificialisées, rentrent en possession des citoyens et deviennent des jardins collectifs.

Tous ces potagers se rejoignent dans le souci du monde qui les a suscité, dans l’accusation qu’ils portent contre le saccage de ce monde, mais aussi dans le soin, même dérisoire, qu’ils tentent de lui apporter.
Ils se rejoignent également, en ce que ces jardins, avant même de produire des fruits, des aromates ou des légumes, produisent du collectif qui participe à une réappropriation attentionnée, consciencieuse, de nos espaces de vie.

Dans son essai La Pelouse américaine en guerre, l’historienne de l’architecture Beatriz Colomina décortique comment l’Amérique rejoue sur ses pelouses pavillonnaires, contre insectes et mauvaises herbes, les guerres qu’elle mène à l’autre bout de la planète entre 1941 et 1961.
Si l’entretien d’une pelouse est ainsi une forme de guerre déclarée au vivant, ou tout au moins une manière de faire fi de ce vivant, le potager constitue éventuellement une forme de résistance.

Rue des murs, le projet d’Oppidum, soutenu par les collectivités locales, consiste finalement à se saisir de plate-bandes de gazon coupées trop courtes, et qui se dessèchent en été, pour se réunir et les faire fructifier collectivement. Pour substituer au tapage d’une tondeuse, des mots et des gestes impliqués et joyeux, attentifs aux possibles qu’ils font croître, attentifs au sol et à ce qui y pousse, à la venue bourdonnante des insectes, à celle des oiseaux, à celle de leur chant.